Livraison... en retard

*Un... deux... trois...* Machinalement, T'kal comptait ses resespirations et juste au moment où il pensait 'trois' la lumière et les sensations lui revinrent toutes en même temps, l'assaillant délicieusement.

(*Dragon de garde* Dorcoth et T'kal de Nelva!) claironna son brun sous lui. T'kal plissa les yeux derrière son masque de protection : la luminosité laissait à désirer.

(Il est quelle heure?)

(Celle à laquelle nous devions arriver.) Un battement d'aile, une large respiration et Dorcoth reprit de la même voix calme et posée. (A moins que tu ne te sois trompé.)

La réprimande fit sourire le chevalier brun. Pris dans ses expériences malheureuses à base de Pierre de Feu, il en avait laissé le temps filer pendant...

(Toute leur nuit. C'est l'aube ici.)

T'kal grimaça. Fort heureusement lui et sa livraison n'étaient pas attendus hier, mais il n'empêche que si K'tar l'apprenait, il risquait de lui taper sur les doigts.

(Pose-toi mon gros, et fais attention de ne pas trop secouer le beaume.)

Le dragon gronda avec mépris et plongea vers le sol, ses grandes ailes repliées sur ses flancs. Son fret était solidement attaché et réparti, il ne lui arriverait rien de plus grave que le froid de l'Interstice. Avec un art consommé par l'habitude, Dorcoth se posa sans même faire gémir ses harnais de cuir. Il s'abaissa, rasant presque le sol et tendit un antérieur pour permettre à son maître de démonter en toute sécurité. T'kal flatta le long cou sinueux de son ami et se laissa glisser agilement à terre. Ils étaient devant les cavernes et le jeune chef d'Escadrille sourit d'amusement : pour une fois, il échappait à son commité d'accueil enthousiaste. Il aimait beaucoup venir à Kyr'naël, ses habitants et Chevaliers dégageaient un entrain et un courage qui lui plaisait beaucoup.

Alors que le weyr émergeait doucement, il était un petit bonhomme qui était déjà en route depuis un bon moment. Gallen s’était levé tôt pour échapper à la traditionnelle séance de débarbouillage de sa mère. Il s’était habillé vite fait et était partie en exploration dans ses chers tunnels. Il y aurait bien passé la journée si ce n’est que son estomac se rappela à lui. Affamé, le garçonnet était allé se chercher un morceau de pain et une pomme dans les réserves des cuisines et cherchait à présent un coin tranquille pour les déguster. Il pensait justement avoir déniché l’endroit idéal lorsqu’un dragon brun vint se poser à proximité. L’enfant fut pour le moins contrarié mais la curiosité étant la plus forte, il pointa le bout de son nez et demanda d’une voix qui se voulait impressionnante.

Z’êtes qui vous ? L’aire d’atterrissage c’est pas ici !

Puis il mordit à pleines dents dans son pain et mastiqua tranquillement sa bouchée tout en observant le visiteur.

T'kal sursauta. Il abandonna le paquet qu'il était en train de défaire et se retourna, les joues un peu roses de la réprimande.
Avant de considérer son jeune nouvel ami, il lança un regard à la ronde et soupira discrètement : le gamin avait raison, il s'était admirablement planté.
Il n'était pas distrait de nature pourtant et se demanda comment il avait pu se tromper entre l'Aire d'atterrissage et la vaste plaine qui la jouxtait.

"Oh! Salutations jeune homme! Je suis T'kal maître de Dorcoth et Chef de l'Escadrille MidOuest de Nelva" se présenta-t-il en souriant avec chaleur.

Il n'était pas vaniteux. Il avait dû penser à autre chose lorsqu'il avait fourni les coordonnées de l'Aire a son brun et en assumant la bêtise.

"Je ne suis trompé en effet." commenta-t-il simplement. "Je suis venu livrer le baume analgésique que nous avions en surplu. Tu veux m'aider à tout rattacher sur Dorcoth? Il va falloir que je retourne poser cela au bon endroit cette fois!"

Voilà qui était malin. Il considéra les paquets déjà déchargé et haussa les épaules, se maurigénant intérieurement pour la méprise. Dorcoth tourna vers lui son long cou sinueux et le considéra longuement sans rien dire, les yeux opalescents.

(A quoi tu penses?) demanda le chevalier brun à sa monture, les poings sur les hanches, l'air faussement irrité.

(Je t'aime.) répliqua de manière inattendue ce dernier, les yeux roulant doucement de toutes les teintes du bleu.

T'kal manqua éclater de rire : Dorcoth aimait le déstabiliser et il apprécia à sa juste valeur la belle tentative de son compagnon.

(Presque réussi!
Allez, baisse-toi un peu plus idiot, que je puisse recharger tout ça!) ajouta-il avec bonne humeur.

[HJ : Pardon pardon, prob d'ordi et très occupée à Nelva >_<]

Tout en continuant de mâchouiller son pain, le petit garçon dévisageait l’étrange visiteur de la tête aux pieds. Il se demandait comment ce grand benêt avait bien pu confondre l’aire d’atterrissage avec la plaine. Soit il était miraud, soit il était stupide. L’enfant hésitait entre les deux. Les yeux interrogatifs posaient sur T’kal, Gallen écoutait le chevalier attentivement tout en observant le moindre de ses gestes. On ne sait jamais, des fois qu’on essayerait de lui piquer son casse croûte ! Il avala sa dernière bouchée et se leva tranquillement. Doucement, il s’approcha du jeune homme, jeta un bref coup d’œil aux paquets et décréta le plus sérieusement du monde.

Combien tu payes pour que je t’aide ?

Il laissa un silence s’installer le temps que son interlocuteur assimile l’information puis poursuivit.

Parce que je vois pas pourquoi je devrais t’aider à réparer tes bêtises. T’es sensé être chevalier, alors tu ferais mieux d’assumer tes erreurs ! Et puis confondre la plaine avec l’aire d’atterrissage…tu serais pas un peu simplet sur les bords, toi ?

T'kal ouvrit la bouche une fois, la referma, puis l'ouvra de nouveau pour finalement se taire, abasourdi par l'assurance du mioche.
Cela faisait pas mal de temps déjà qu'il venait s'entraîner à Kyr'naël et connaissait - et était connu - de bon nombre de chevaliers, mais il n'avait jamais vraiment eu le temps de s'attarder sur les gamins qui vivaient au Weyr.
Celui-ci l'épatait pour tout dire. Il ne s'était pas présenté, mais derrière ses airs de garçonnet fragile, on sentait brûler sa détermination. Pour le moment, il le fixait de ses grands yeux verts, et en subissant l'examen, T'kal se demanda vaguement dans quelle catégorie il avait bien pu se faire classer.

La réponse ne tarda pas : chez les idiots.
Dorcoth claironna d'amusement et son chevalier, un peu vexé, lui envoya un coup de coude dans le cuir.

(Toi alors!)

(Tu ne l'as pas volé.)

Le grand brun baissa un peu plus la tête et planta son immense oeil à facette en face - autant qu'il le pouvait du moins - du garnement et le considéra avec curiosité.

"Oh euh..." finit par laisser échapper un T'kal très mal à l'aise, avant de se frotter les cheveux, ébourrifant un peu plus si c'était possible son étrange coiffure. "Je te proposais cela comme ça, pour te faire plaisir..." L'entendre à voix haute le fit légèrement rougir de confusion : c'était idiot. Certes beaucoup de gamins de Nelva se seraient rués pour l'aider et écouter ses histoires de nomades loin à l'Ouest, mais ici, les conditions étaient différentes.

"Je n'ai pas besoin d'aide, ne t'en fais pas." conclut-il en souriant gentiment.

"Dorcoth te dirais certainement que je suis simplet, mais j'étais en réalité très absorbé par ma nouvelle expérience. J'y pensais en partant au lieu de bien visualiser, et comme il ne fait pas très jour ici..."

Il n'avait pas remarqué tout de suite sa méprise, prenant des ombres pour des falaises et... bref. Il était encore dans la lune et maintenant, en subissait les conséquences et se faisait vertement tancer par un gamin. L'ironie de la situation le fit sourire et, un paquet dans les bras, il considérait son jeune ami, attendant la suite de sa punition.

Nullement impressionné par l’œil immense qui le dévisageait à son tour, le petit garçon soutint l’étrange regard un instant avant de reporter son attention sur le chevalier qui tentait comme il pouvait de limiter la casse. Gallen soupira de lassitude. Ce qu’il lui semblait pitoyable ce grand dadais. Rien de comparable avec la prestance qu’avait son père ! En plus, il ne savait ce qu’il voulait !

Ben, pourquoi tu m’as demandé de t’aider si t’as pas besoin d’aide ?

Pour lui faire plaisir ? Mais pour qui le prenait-il ce chevalier, pour un de ces gamins qui bavent d’envie devant un chevalier et son dragon ? Eh bien, si c’est ce qu’il croyait, il était bien mal tombé ! Le gamin en question haussa les épaules négligemment.

M’en fous des chevaliers et des dragons !z’êtes juste bons à brûler les fils et à vous faire tuer par eux ! Y’a rien d’excitant là dedans !

Mais ses fréquents coups d’œil en direction de Dorcoth trahissaient sa curiosité envers l’animal même si ses paroles étaient toutes autres ! Il s’avança jusqu’à un des paquets, s’accroupit pour le regarder d’un peu plus près puis se releva et l’envoya d’un coup de pied vers T’kal.

Tiens ! T’oublies c’lui-là !

Puis il sortit la pomme de la poche de son pantalon, l’essuya sur le revers de sa manche et mordit à pleines dents dans le fruit. Il était curieux de voir comment le jeune homme allait réagir à sa provocation.

La provocation n'était rien comparée au triste bruit que rendit le paquet en s'écrasant. Les pots de baume qu'il contenait, bien que calés dans une bourre épaisse et amortissante, ne supportèrent pas le rude traitement et explosèrent sous l'impact.

La mine de T'kal s'allongea, alors qu'il considérait le paquet le regard absent. Une journée d'efforts, de sueur et d'odeurs nauséabondes réduite à néant.
Althéa, l'Intendante de Nelva, allait lui arracher les yeux pour avoir ainsi gâché un plein paquet du précieux baume. Car si ils avaient fait une excellente récolte et avaient pu se permettre d'en offrir généreusement au Weyr de Kyr'naël qui pansait encore ses blessures après l'Epidémie ; personne ne pouvait se permettre de gâcher le médicament, surtout en ces temps de début de Passage.

Le chevalier brun ne comprenait pas pourquoi le gamin, pourtant au courant de ce qu'il contenait, avait shooté dans le petit paquet.
Les insultes, l'indifférence et l'effronterie qu'il avait montré auparavant étaient éclipsés par l'inconséquence du geste...

"ça, c'était une grosse bêtise..." se contenta de dire T'kal, avant de se pencher pour ouvrir le paquet et voir si quelque chose était encore intact à l'intérieur. C'était des petits pots, de ceux que les chevaliers pouvaient glisser dans leur veste de vol.

Dorcoth souffla doucement par les naseaux, ébourrifant le garçonnet, les yeux toujours bleu-vert de contentement. L'insident n'avait pas la même importance à ses yeux. Il était fort, et esquivait avec habileté. Sur de ses capacités, la perte de quelques pots de baume analgésique ne le perturbait pas le moins du monde et il considérait toujours Gallen avec la même curiosité.

T'kal grogna de frustration à côté de lui. Il avait les doigts gourds, recouverts d'un gel verdâtre et gluant. Des vingt-cinq pots, seul trois étaient intacts, dont un légèrement fêlé.
Il s'essuya dans l'herbe, mais le mal était fait.

Continuant de déguster sa pomme, Gallen regardait T’kal se décomposer à vue d’œil. Comme si c’était de sa faute à lui si ce ballot de chevalier était incapable de faire la différence entre la plaine et l’aire d’atterrissage. Quant à la « grosse bêtise », ça restait à prouver. Il avala sa dernière bouchée et répondit.

Bah, pour ce que c’est utile ce truc ! Ça n’a pas empêché les gens de mourir pendant l’épidémie ! Alors tu ferais p’têt mieux de le reprendre avec toi !

A ce moment-là, il y eut comme un courant d’air chargé d’une drôle d’odeur semblable au souffre. Gallen tourna la tête et comprit qu’il s’agissait du souffle de Dorcoth. Il prit un air faussement contrarié et houspilla le brun vertement !

Nan mais ça va pas dans ta caboche ! Tu veux me donner la nausée ou quoi ? Tu ferais bien de te laver les dents ! Ta mère t’a jamais appris l’hygiène ?

Le petit garçon tapa du pied de mécontentement puis passa sa main dans sa chevelure afin d’y remettre un peu d’ordre. Puis il s’approcha à nouveau du chevalier et l’observa se dépatouiller avec la substance verdâtre.

Oh ! Il en reste trois ! Dommage !

Et il tira la langue en donnant un second coup de pied dans les pots rescapés !

[HJ : ça sent les épices l'haleine d'un dragon. lol Dorcoth n'a pas mâché de pierre aujourd'hui, donc il ne risque pas de puer du bec.]

Là c'était de mieux en mieux. Non content d'avoir bousillé le fruit d'un travail pénible, le mioche en rajoutait une couche.
T'kal n'avait pas de grief particulier contre les petits d'homme, mais celui-ci était particulièrement odieux.

(Je vais me fâcher Dorcoth...)

Le ton était las et le dragon savait que son maître espérait qu'il le tempère. Ce qu'il fit, parce que même si la crevette blonde lui hurlait des imprécations, lui Dorcoth était très amusé par la situation, qui mettait son Chevalier dans une position délicate et le divertissait tout en même temps.
Dans un grondement amusé, il poussa du nez la frêle silhouette pour lui montrer qu'il n'était nullement impressionné par sa tirade sententieuse.

(Il est jeune. Je l'aime bien.) dit-il en roulant des yeux.

(Oh toi!) s'exaspéra T'kal en levant les yeux au ciel. Il contempla les trois derniers pots désormais brisés, avant de reporter son attention sur le jeune garçon.

"C'est utile sur les plaies ouvertes. ça endort la douleur et crois-moi, quand les dragons blessés pleureront la nuit parce qu'il n'y aura plus assez de baume pour les soulager, tu regrêteras d'avoir cassé ces pots."

Malgré sa colère, il sourit au garçonnet, les sourcils froncés et les mâchoires crispées.

"Enfin! C'est fait, mais tu devras réparer ta bêtise lors de la prochaine corvée de baume à Nelva. Je vais déposer tout cela aux Cavernes Inférieures et aller prévenir que tu es réquisitionné."

Il bluffait bien évidement. Il était persuadé que personne ne le laisserait repartir à Nelva avec ce mioche la prochaine fois qu'ils iraient récolter les longues feuilles piquantes et nauséabondes qui servaient à la confection du baume analgésique, mais il était presque persuadé que son interlocuteur ne le savait pas non plus.

Feignant de se désintéresser de lui et des pots brisés, le chevalier brun fit volte-face et escalada agilement sa monture, se calant confortablement entre deux crêtes de cou.
Dorcoth, qui avait compris le but de la manoeuvre, se redressa de toute sa taille, écrasant l'amusant petit bout d'homme de toute sa hauteur impressionnante.

[HJ : pas convaincue pour l’haleine mais si toi, tu y crois !^^]


Tout à coup, Gallen se sentit poussé dans le dos. Surpris, il perdit l’équilibre, tomba le nez en avant et atterrit dans la bouillie verte devant lui. Il se releva avec une grimace conséquente et le regard noir de colère. Ses yeux se posèrent d’abord sur T’kal puis sur Dorcoth.

Parce que ça vous fait rire, ce genre de gaminerie !

Cria-t-il vexé. Il venait de se ridiculiser devant un niais et une grosse bestiole. Il se sentait très humilié, bien plus que la « menace » du chevalier de l’embaucher pour réparer sa bêtise. Mais le jeune homme ne semblait pas l’écouter. Il était remonté sur son brun et s’apprêtait apparemment à redécoller. Lorsque Dorcoth se redressa, Gallen ne put faire autrement que de le suivre des yeux. Le dragon était si grand face à l’enfant que ce dernier en tomba à nouveau à la renverse à trop lever la tête.

Wouah !

Ne put-il s’empêcher de lâcher en contemplant l’homme et l’animal. Puis il secoua la tête vivement et se releva. Il regarda ses vêtements couverts de poussière et darda ensuite un regard noir sur T’kal.

Ah ! Mais c’est malin ! Ma mère va encore m’engueuler ! Y’en a marre à la fin de payer pour les sottises des autres !

Il croisa les bras sur son torse et se mit à bouder.

T'kal en avait terminé avec le mioche, qu'il trouvait de plus en plus antipathique et désagréable. Il n'avait plus aucune envie de s'attarder sur les lieux et comptait décharger au plus vite pour repartir à Nelva achever ses expériences.

(Tu es contrarié...)

La voix de son Dorcoth, douce et emprunte de tendresse, fit sursauter le chevalier-brun qui ne s'attendait pas à une manifestation de ce genre, surtout en ce moment.

(C'est maintenant que tu le remarques?) répliqua-t-il vertement, avant de rabattre machinalement les lunettes de vol sur son nez. Il n'en avait nullement besoin étant donné qu'ils n'allaient voler que sur quelques longueur de dragon, mais les habitudes se révèlent souvent bien ancrées.

(Tu es faché contre moi maintenant...) déplora Dorcoth en secouant sa grosse tête triangulaire. Touché par la détresse du dragon, T'kal lui flatta l'encolure et s'excusa d'une pensée caressante.

(Allons-y mon gros!)

Sur ces paroles, le grand brun plia les genoux et d'une puissante poussée, s'arracha au sol.